Vidéo: 13,03 min, 2010
109 Girls
En tant qu’artiste et femme, je m’interroge sur le pouvoir de l’image de la femme dans la société de consommation. Et j’ai été frappée à Tokyo par les différents archétypes de la jeune-fille sexy : une féminité caricaturale, de la femme fatale à la petite fille. Cette image qui véhicule puissance et fragilité, est une façon de prendre position dans le rapport aux hommes en mettant clairement l’accent sur le désir. Cela révèle un véritable formatage de la femme dans notre société.
Je me sens un peu comme une grande sœur, à la fois touchée et irritée par l’attitude des filles qui ont besoin d’en faire trop pour se croire désirables. Je trouve ça charmant mais un peu triste. Ce projet m’a été inspiré par le centre commercial « 109 », le temple de la mode jeune et branchée a Shibuya.
1/ La vidéo
109 (prononcer ichi maru kyu, c’est-à-dire One Zero Nine) est le temple de la mode jeune à Tokyo, très connu des jeunes-filles branchées, ou l’on peut dénicher les derniers accessoires tendance. C’est le grand magasin qui vend le plus au Japon. Il est en plein coeur de Shibuya. Presque tout y est « made in China », mais vendu à prix d’or ici. Ce building jouit d’une image édulcorée, largement entretenue par les prestations des vendeuses. Toutes attifées dans le style du magasin qu’elles représentent, elles mettent une énergie folle à s’époumoner tous les jours pour attirer la clientèle et vendre leurs articles. Leur attitude est comparable à un spot de pub.
Les premières fois que j’ai pénétré dans cet endroit, j’ai été particulièrement surprise par l’artifice déployé par ces jeunes femmes. Over-lookées, hyper maquillées, cheveux décolorés, lentilles de couleur, et attitude extravertie de rigueur. C’est fascinant, on se croirait dans une autre dimension. C’est pourtant bien leur réalité.
Ma vidéo est la mise en scène d’une vision que j’ai eu un soir dans le centre 109. Une sorte d’apparition s’est produite en moi, lorsque les portes d’ascenseur de service se sont ouvertes sur un groupe de filles éclairées par les néons blafards, maquillées, blondes et chevelues comme des poupées, serrées les unes contre les autres dans ce petit espace gris, elles me fixaient en silence. Vision extra-terrestre? Performance de Vanessa Beecroft? Certaines filles me sourirent. Elles étaient à la fois mignonnes et inquiétantes. J’ai ressenti quelque chose d’un peu monstrueux, tellement leur accoutrement paraissait artificiel. On aurait dit des poupées dans une boîte, sous un éclairage cru.
De cette vision m’est venue l’idée de faire une vidéo qui reprenne cette scène, et cette sensation étrange. Ce film est donc une oeuvre pensée, créée et dédiée en rapport au temple de la mode 109, mais de manière obscure, secrète, alternative, non officielle.
Modalité d’accrochage : Projection sur grand écran dans une salle obscure.
2/ La performance en extérieur
Performance vidéo: 02,07 min, 2011
Par la suite, ce projet s’est développé sous forme d’une performance subversive à l’égard du centre commercial 109. Guidée par des recherches récentes sur le territoire avec les nouveaux médias géo-localisés, j’ai entrepris de mettre au point un dispositif de diffusion de ma vidéo au public dans le lieu qui l’avait inspirée. J’ai généré un QR-code renvoyant à ma vidéo 109 Girls, en ligne sur youtube. Ce QR-code a ensuite été imprimé sur des petits cartons, et sur des débardeurs. Ainsi, j’allais pouvoir inviter le public à scanner le QR-code et ainsi découvrir ma vidéo sur leur téléphone mobile.
Cette performance a eu lieu de manière sauvage et soudaine dans le centre commercial 109, un samedi après-midi à l’heure de pointe du shopping. Une dizaine de personnes garçons et filles portant des perruques blondes, et tous habillés à l’identique : collants de couleur vive, jupe noire courte et talon, portant le débardeur blanc à l’effigie du mystérieux QR-code ne donnant d’autre indication que 109 Girls, ont déboulé sur le carrefour de Shibuya et dans le centre commercial 109, créant une sorte de pastiche de la belle blonde sexy. Les passants très nombreux ont réagi comme je l’espérais: il s’est créé une sorte de buzz autour de ces créatures caricaturales. Des attroupements se sont constitués, tout le monde prenant des photos sans bien comprendre de quoi il s’agissait, mais croyant sans doute à un évènement commercial. La farce a pris.
Ainsi détournant les codes utilisés par le marketing commercial pour promouvoir une marque, j’ai créé un évènement autour de ma vidéo à vocation purement artistique. Ce jour là et par la suite, il y a eu pic de visite sur la page youtube de la vidéo 109 Girls. L’image fantôme que j’ai créée du centre 109 a donc été véhiculée par un évènement à connotation commerciale mais ne vendant rien, via des médias virtuels. Il s’agissait pour moi de détourner un outil commercial dans un but artistique.
Ce projet à l’esthétique très mode porte donc une réflexion de fond sur la virtualité des échanges, et sur l’importance accordée à la superficie dans les sociétés ultra capitalistes.
Projection, diffusion
– 109 Girls a été présentée au public la première fois en décembre 2010, dans le lieu où elle avait été tournée: M un bar et espace artistique et événementiel à Tokyo. Telle une mise en abîme, la vidéo « 109 girls » a délibérément été projetée à l’endroit même où elle avait été tournée. Les filles apparaissaient virtuellement sur le mur qui avait servi de décor au tournage, lors d’une unique soirée vernissage.
– La performance au centre commerciale 109 a été suivie d’une présentation orale dans la galerie Out of Place à Tokyo, avec une projection de la vidéo, durant le « Yebisu International Festival for Art and Alternative vision » en février 2011.
– La vidéo 109 Girls est diffusée régulièrement sur la chaîne TV Souvenirs from earth.