Julie Barranger

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Jules est une femme

Une semaine dans la peau d’un homme

Média: Performance, texte, série de photos, série de collages numérique, vidéo: durée 6,37 min.

J’étais rentrée du Japon depuis quelques semaines, après les terribles événements liés au tremblement de terre et à la centrale Fukushima, et au tsunami qui a suivi. Je vivais là-bas depuis plus d’un an, et comptais pourtant y rester encore quelques années. Mais tous mes plans ont été bouleversés soudainement par ce triste sinistre. De retour en France, j’ai ressenti le besoin de me ré-ancrer dans ma vie française et dans mes origines au travers de l’action. Retrouver mes racines signifiait pour moi revenir à l’origine de qui je suis : mes parents, ma famille, mon identité, mon genre.

Extrait de journal de bord :

Mardi 19 Avril 2011:
Tout a commencé ainsi:
Je prends rendez-vous pour un tirage de tarot avec un grand disciple d’Alejandro Jodorowsky, pour lui demander conseil : Dans quel pays vivre désormais?
Les cartes penchent du côté du Japon, pourtant ce n’est pas vraiment ça la vraie question. Richart creuse un peu mon désir de voyage et de découverte du monde et il en vient à une conclusion profondément archétypale.
D’après lui les choses sont très claires. Il me reparle de mon dilemme d’identité masculin-féminin. Je porte en moi le garçon que je n’ai pas été et qu’on désirait que je sois.
Je repense à ma naissance. En effet quand ma mère était enceinte de moi, elle était persuadée que je serais un garçon, ce qui revient à dire qu’elle désirait un garçon? A l’époque il n’y avait pas d’échographie donc c’est à la naissance qu’elle a découvert que j’étais une fille. Sur les photos de moi bébé, j’étais souvent habillée en garçon.
Richart m’explique alors ceci: Il en résulte une soif de conquête du monde dans ma personnalité, je dois toujours prouver que je suis digne d’être le petit garçon qu’on voulait que je sois.
Tout cet enjeu d’identité sexuelle est sous-jacent en moi et dans mon rapport à ma mère. J’ai du mal à l’accepter. Pourtant il insiste : plus quelque chose est refoulé, plus c’est fort. Il y a une thématique de l’inversion. On attend de moi que je joue le rôle d’un homme.
Donc pour sortir de ce dilemme d’identité, il faut que j’explore profondément ma part d’homme et que je développe ensuite mon côté féminin. Richart me conseille donc de faire un acte psychomagique : Passer une semaine à me vêtir et à me comporter en homme, sortir dans les bars lesbiens, vivre comment un homme.
Puis me présenter à ma mère et lui dire voilà l’homme que tu voulais que je sois. Me mettre nue devant elle, et lui dire: Mais je suis une femme. Lui dire : Prends moi dans tes bras. Et me rhabiller en femme en exigeant d’être appelée par un prénom féminin que j’aurais choisi.
Faire ainsi sortir ce côté refoulé d’homme et l’amener à ma conscience.
Cette révélation m’effraie mais ça me parle. Au fond de moi j’entends ce qu’il me dit. Je décide d’en faire un geste artistique. Nous verrons bien ce que j’exorcise.

Alors dès le lendemain je m’attelle à la tâche.
Mes vêtements de travail pour travailler en cabine de projection sont assez masculins, et de plus j’arrête de me maquiller et de porter des bijoux. Il me faudra quelques jours pour rassembler des vêtements d’homme.

 

Œuvres présentées et notes d’accrochage :

Cet acte psychomagique a donné naissance à une performance artistique qui dura une dizaine de jours au total.
J’ai pris note quotidiennement de mes actions, des anecdotes et de mon ressenti, et j’ai décidé de faire une œuvre de cette transformation. Le travail plastique qui en résulte se présente sous plusieurs formes :

1/  Une œuvre « Photo-journal intime » : Extraits du journal
Parmi les photos prises au jour le jour, les meilleures ont été passées en noir et blanc afin d’immortaliser l’évènement, et de le rendre intemporel. Puis chaque photo, ou montage photo retenu est inversé en négatif, symbolisant ainsi l’inversion de genre à laquelle je me suis prêtée, et rendant aussi moins évidente la compréhension visuelle de l’image par le spectateur, ceci afin de cacher une part du processus, de garder une part de mystère. Le récit de la semaine de Jules est découpé par journée. Chaque jour correspond à une image et lui est subordonné. Il s’établit alors un rapport texte-image entre journal intime et enquête secrète.

Les photos sont des tirages noir et blanc en 24x36cm. Elles sont destinées à être regardées de préférence à plat sur une table, comme les pages d’un journal. D’autres tirages et textes existent, j’en présente ici une partie.

2/  Une série de photos « Portraits de Jules » : Les 7 portraits représentent Jules dans ses activités quotidiennes, à travers une mise en scène statique, à l’image des vieilles photos de famille. Elles évoquent une autre époque de par leur aspect suranné. Les photos ont été prises dans le vieil appartement familial, devant le mur où étaient accrochées autrefois les portraits des ancêtres. La trace laissée par les cadres sur le mur crée des formes géométriques évoquant la symbolique mystique : un cercle et un triangle. Le triangle est la première figure à s’inscrire dans un cercle, c’est la conscience de la dualité, symbole du temps et de l’espace. Le triangle est aussi décrit comme le principe masculin et le principe féminin qui s’unissent pour donner naissance à un troisième principe, comme le père et la mère donnent naissance à un enfant, et comme l’intellect et le cœur donnent naissance à la volonté.
Les 7 portraits de la semaine sont aussi un clin d’œil au jeu des 7 familles, puisqu’il s’agit bien là d’une œuvre qui s’ancre dans la généalogie.

Les tirages mesurent 30 x 45 cm et sont encadrés. Ils sont prévus pour un accrochage au mur, pouvant aller de 1 à 7 photos.

3/  Une vidéo « Jules est une femme » : Le dernier jour de sa semaine en homme, Jules se retransforme en femme, lors d’une ultime performance coup de théâtre. L’évènement est une surprise présentée devant sa famille, dans la cour d’un musée chargé de passé familial: le Musée Jacquemart-André, du nom de ses fondateurs un riche couple collectionneur d’art. Heureux hasard, à cette période le musée abrite l’exposition « Dans l’intimité des frères Caillebotte » qui montre le lien artistique entre les deux frères artistes : l’un peintre, l’autre photographe.
La thématique familiale est donc doublement abordée par ce lieu chargé d’histoire, et ancré dans un 19ème siècle bourgeois et impressionniste.
La vidéo est une mise à nu de Jules, et une renaissance de la femme. C’est un acte destiné à révéler les deux aspects masculin et féminin en moi, c’est aussi un geste destiné à ma mère. Mais surtout destiné à l’archétype de la mère. Un geste de transgression pour retrouver cette identité profonde du genre : masculin ou féminin, qui reste la plus incontrôlable surprise de la conception d’un enfant.

 

Attention, scène de nudité pouvant heurter le public.

Images extraites de la vidéo performance :